Comment mieux décider avec l’échelle d’inférence ?

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“Ce que vous décidez de ne pas faire est tout aussi important que ce que vous décidez de faire.” – Steve Jobs

Avez-vous déjà vécu une situation où quelqu’un avait mal interprété vos paroles ou vos actions ? Ou bien avez-vous ressenti de la colère envers le commentaire d’une personne ou son comportement, et en avez déduit qu’elle vous en voulait pour une raison ou une autre ?

En tant qu’êtres humains nous faisons constamment des suppositions sur le monde qui nous entoure. Notre cerveau traite un grand volume d’informations à chaque instant, c’est pourquoi il n’hésite pas à prendre des raccourcis dès qu’il le peut.

La plupart de ces raccourcis ont du sens, nous savons que prendre la voiture à midi signifie avoir de grandes chances de se retrouver bloqué dans la circulation, si la nourriture a une drôle d’odeur il y a des chances qu’elle soit impropre à la consommation, etc.

Malheureusement, ces raccourcis peuvent avoir des conséquences désastreuses lorsque les décisions à prendre sont importantes. Quel métier choisir, quelle personne épouser, quel investissement en temps ou en argent accorder à tel projet ?

Bien sûr, il est possible d’apprendre à agir différemment. Cette tendance que nous avons à sauter rapidement aux conclusions peut être expliquée par un modèle mental appelé “L’échelle d’inférence“. Nous allons voir tout cela plus en détail.

Qu’est-ce que l’échelle d’inférence ?

L’échelle d’inférence explique comment à partir d’une situation, nous procédons à une série de processus mentaux pour aboutir à une conclusion hâtive. Ce modèle a été décrit en 1970 par le professeur en psychologie Chris Argyris, puis popularisé par Peter Senge dans son ouvrage La cinquième discipline.

Cette échelle est composée de 7 barreaux (7 étapes), elle commence par l’observation et aboutit à une action. Nous allons voir comment à chaque étape il est possible de réajuster notre perception des choses.

1. L’observation de la réalité

Tout en bas de l’échelle se trouve la réalité observable. Nous observons par nos cinq sens tout ce qui se passe dans chaque situation. Nous n’avons encore rien interprété à cette étape, malgré tout nous sommes limités par nos sens. Par exemple, nous ne sommes pas capables de voir ce qui se passe dans la pièce d’à côté (mais nous pouvons parfois l’entendre).

Les faits observés sont aussi conditionnés à un l’instant où nous les percevons. Nous n’avons aucune idée de ce qui s’est passé cinq minutes avant ou de ce qui se passera cinq minutes après. Nous sommes ainsi limités dans le temps et dans l’espace.

Prendre conscience de ces limites est essentiel avant toute prise de décision.

Imaginons une scène particulière. Vous entrez dans votre salle de réunion au travail et vous voyez que deux personnes sont déjà là. Vous les connaissez toutes deux, l’un s’appelle Jean, c’est le nouveau stagiaire de l’équipe, l’autre c’est Pierre, un ancien de la boîte. Vous entendez Pierre hausser le ton contre Jean.

2. La réalité sélectionnée

Nous ne nous contentons pas d’observer passivement ce qui se passe autour de nous. Notre cerveau fait déjà un premier tri parmi toutes les informations qu’il reçoit. Ce tri s’opère selon nos émotions du moment, nos idées préconçues et préférences.

Nous ne considérons donc pas toutes les informations avant de prendre une décision, des biais cognitifs sont également de la partie. Ainsi, il est possible que deux personnes situées au même endroit et au même moment peuvent décrire une scène complètement différente (cela arrive souvent lors des témoignages d’accidents).

Est-il possible d’y faire quelque chose ? Oui et non. Nous ne pourrons jamais avoir une vision complète de la réalité qui nous entoure, notre cerveau serait vite en surchauffe s’il n’effectuait pas ce tri au niveau inconscient.

La bonne nouvelle est que par un effort conscient, vous pouvez sélectionner les aspects de la situation qui sont pertinents pour vous, soit pour aboutir à une meilleure décision ou soit pour tirer des conclusions basées sur des faits tangibles.

Pour cela, voici quelques questions à vous poser :

  • Pourquoi ai-je choisi de me concentrer sur cet aspect de la situation ?
  • Mes croyances et préjugés ont-ils influencé ma perception de la réalité ?
  • Si je ne connaissais pas ce lieu ni ces personnes, aurais-je vu la situation de cette façon ?
  • Ai-je perçu suffisamment de choses dans cette situation ? Me manque-t-il des informations ?

En gardant la scène précédente, d’innombrables versions de la réalité coexistent, en voici deux.
N°1 : Vous n’aimez pas les personnes qui abusent de leur pouvoir sur les autres. Vous décidez alors d’observer la réaction de crainte et d’inconfort de Jean car pour vous il est inadmissible d’être traité de la sorte.

N°2 : Vous n’aimez pas les personnes qui ne s’excusent pas spontanément quand elles sont en tort. Vous décidez alors d’observer la réaction de Pierre qui s’emporte, car après tout Jean doit avoir fait quelque chose pour l’énerver.

3. L’interprétation

Lorsque nous avons fini de filtrer la réalité, alors nous commençons à interpréter uniquement notre version des faits. Nous construisons cette interprétation par rapport à nos croyances, valeurs et expériences passées.

Pour nous, tout semble cohérent et rationnel, comme si la situation ne pouvait s’expliquer que de cette façon. Au besoin, notre cerveau ira alors chercher d’autres éléments (qui souvent n’ont aucun lien) pour justifier cette version des faits.

Nous donnons ainsi un sens logique aux actes des autres, selon l’image que nous avons d’eux. Cette image est elle-même basée sur l’impression qu’a laissé un tel ou une telle sur nous, le fameux effet de Halo. Cette image positive ou négative devient alors un raccourci qui nous permet d’expliquer facilement tous les comportements.

Ainsi, si Jean est arrivé en retard ce lundi au travail c’est parce qu’il est jeune et les jeunes sont souvent fêtards et fainéants. D’ailleurs, il y a quelques semaines à la pause vous l’entendiez parler d’une soirée avec des amis.

Posez-vous donc ces questions :

  • Quels éléments me font interpréter la situation de cette façon ?
  • N’y aurait-il pas d’autres interprétations possibles à cette situation ?
  • Aurais-je certains préjugés sur les personnes ou choses présentes dans cette situation ?

Avec l’exemple précédent…
N°1 : Le traitement de Jean vous rappelle désagréablement la fois où ce professeur de lycée vous avait rabaissé devant toute la classe pour votre mauvaise note. Vous pensez naturellement que c’est la même situation qui se rejoue. De plus, vous aviez déjà entendu certaines rumeurs sur Pierre, il semble être assez tendu dernièrement depuis son divorce.

N°2 : Vous voyez alors la chemise tâchée de café de Pierre qui s’emporte. Vous comprenez que cela ne vous aurait pas fait plaisir non plus d’aborder la réunion dans cet état. De plus, Jean semble regarder ailleurs et n’a pas cherché à proposer une solution dans cette situation. En y repensant, ce n’est pas la première fois que Jean reçoit des remontrances des autres.

4. Les suppositions

Cette étape nous éloigne encore un peu plus de la réalité. Ici, les faits commencent à se distordre et nous prêtons des intentions et des mots aux personnes présentes. Nous imaginons ce qu’il s’est passé cinq minutes avant et ce qu’il se passera cinq minutes après.

Un murmure dans un couloir devient une moquerie qui nous est destinée. Un(e) ami(e) qui oublie de nous saluer se transforme en rancœur cachée. À aucun moment nous ne cherchons à savoir si ces suppositions sont vraies ou non. Cela risquerait de remettre en question notre précédente interprétation.

Même lorsque l’interprétation se trouve être bonne, l’intensité ressentie est exagérée ou à l’inverse minimisée. Une mimique d’ennui devient une marque de désapprobation, une discussion animée se retrouve perçue comme un conflit, etc.

Toujours en recherche de raccourcis, notre esprit privilégie les suppositions simplistes. Il est rare que nous attribuions plus d’une cause à une situation. C’est souvent la faute d’une seule personne ou chose, si les événements se sont déroulés ainsi.

Là encore, voici quelques questions à se poser :

  • Qu’est-ce qui me pousse à penser mes suppositions comme vraies ?
  • Dois-je uniquement blâmer cette personne ou chose pour cette situation ?
  • Ai-je exagéré ou minimisé certains comportements, mots ou événements ?

En reprenant l’exemple précédent…
N°1 : Pierre a sûrement une mauvaise réputation dans son service, le peu de fois où vous l’avez croisé dans le couloir il avait toujours le visage très crispé. Il n’a sûrement pas vu Jean et en le bousculant s’est retrouvé avec sa chemise tâchée de café. C’est donc entièrement de sa faute. De plus, hausser la voix publiquement est un manque de savoir-vivre.

N°2 : Jean qui semble actuellement perdu dans ses pensées ne dit jamais “bonjour” à personne dans votre service. D’ailleurs, sa réputation de tête en l’air est bien connue et vous avez déjà entendu plusieurs collègues se plaindre de son comportement passif et ses étourderies. Il n’a sûrement pas vu Pierre et a provoqué la collision qui a renversé le café, c’est donc entièrement de sa faute. De plus, ne pas s’excuser spontanément et essayer d’arranger la situation est un manque de savoir-vivre.

5. Les conclusions

Avec l’impression d’avoir tous les éléments en main, nous tirons juste la conclusion qui semble logique : il s’est passé X parce que Y a produit ceci ou cela. C’est à ce moment que nous planifions l’action appropriée en fonction de nos réflexions.

Cette conclusion s’étend aussi au futur, si une situation similaire se reproduit nous utiliserons la même logique plutôt que de réanalyser la nouvelle situation. Nous avons une réponse toute faite qui nous évite de réfléchir. C’est pourquoi nous “sautons” souvent aux conclusions.

En ayant l’impression d’avoir tiré toute la vérité sur la situation, nos émotions prennent le dessus et réduisent un peu plus notre rationalité. Cela limite notre répertoire d’actions et nous pousse souvent à choisir des comportements qui empirent la situation.

Trois questions à se poser :

  • Est-ce que ma conclusion est fiable et ancrée dans la réalité ?
  • Tout s’est-il réellement passé comme je le pense ?
  • Ma conclusion a-t-elle été construite sur des faits tangibles ?

N°1 : Je me rangerai du côté de Jean, il est la victime dans cette histoire. Pierre a profité de sa différence de statut pour abuser de son pouvoir, en sachant que Jean ne pourrait pas répondre sans conséquence.

N°2 : Je me rangerai du côté de Pierre, il est la victime dans cette histoire. Jean a fait une étourderie de plus et tâché la chemise de Pierre qui aura du mal à résoudre la situation avant le début de la réunion. Jean profite de son statut de stagiaire en sachant que ses fautes n’auront aucune conséquence pour lui.

6. Les croyances

Les conclusions au-delà des actions qu’elles nous permettent, sont recyclées en croyances personnelles qui serviront de filtres aux prochaines situations. La conclusion est alors simplifiée à l’extrême pour être généralisable à un maximum de situations.

Si par exemple, j’ai vécu une situation où j’ai raté mon bus car selon moi le chauffeur de bus m’a ignoré, je pourrais construire la croyance que les chauffeurs de bus sont tous méprisants. Cela modifiera ma façon de percevoir la réalité et j’aurais tendance à observer plus fréquemment des signes de mépris chez les chauffeurs de bus, même s’il n’y en a aucun.

De même ces croyances peuvent aussi nous être transmises par notre entourage, la société, etc. Nous n’aborderons donc rarement une situation sans avoir d’idées préconçues sur celle-ci.

Ce cercle vicieux est appelé “boucle réflexive” dans l’échelle d’inférence où nos croyances influent sur la réalité que nous sélectionnons et cette réalité sélectionnée solidifie un peu plus nos croyances. Il devient alors de plus en plus difficile de se détacher de nos préconceptions sur les personnes et les situations rencontrées.

Des questions à se poser :

  • D’où est-ce que je tire cette croyance ?
  • Pourquoi crois-je que X est toujours Y ? N’y a-t-il jamais eu de situation pour me prouver le contraire ?
  • Pourquoi je crois à cette croyance ?

N°1 : Je pourrais croire que plus on prend de l’âge dans une boîte, plus on a de chance de devenir aigri et antipathique envers les nouveaux. La prochaine fois que je verrais Pierre s’emporter envers un collègue plus jeune, cela confirmera un peu plus cette croyance.

N°2 : Je pourrais croire que les stagiaires sont tous immatures et irresponsables. La prochaine fois que je verrais Jean faire une erreur, je serais plus strict(e) avec lui car il y a de grandes chances que cela puisse se reproduire à l’avenir.

Pour aller plus loin sur les croyances, je vous invite à (re)voir l’article sur la pyramide de Dilts.

7. Les actions

L’aboutissement de l’échelle d’inférence est l’action. Nos conclusions choisissent pour nous le comportement à adopter dans la situation. Ces actions modifient ensuite la situation et créent une nouvelle situation ce qui relance le processus d’inférence du début.

Un peu à la manière d’un entonnoir, l’échelle d’inférence nous conduit progressivement vers une seule action, un seul résultat possible en occultant tout le reste. Nous pensons sincèrement qu’il n’y avait rien de mieux à faire que l’action que nous avons décidée sur le moment.

Pourtant, il suffit de se remémorer certaines actions que nous avons réalisées par le passé pour découvrir avec regret qu’il était possible d’agir différemment à ce moment-là. Le temps et l’expérience nous ont en effet apporté un autre éclairage sur la situation.

Pour éviter d’en arriver aux regrets, il est bon de s’arrêter un moment sur les questions suivantes :

  • Pourquoi suis-je en train de faire ce que je fais ?
  • Quelles sont mes croyances qui guident mes actions ?
  • Vais-je obtenir le résultat que je désire par ces actions ?
  • Quelles autres actions pourrais-je prendre à la place ?

N°1 : Je défendrai Jean contre l’oppression de Pierre. Peut-être vais-je même le menacer de me plaindre à la hiérarchie de son abus de pouvoir sur un “pauvre” stagiaire qui n’a rien demandé.

N°2 : J’ajouterai mon grain de sel à la réprimande de Pierre. Peut-être vais-je même menacer Jean d’améliorer son comportement sans quoi il devra se trouver un autre stage.

Garder les pieds sur terre avec l’échelle d’inférence

Voici une petite illustration qui récapitule les différentes étapes de l’échelle d’inférence (cliquer pour agrandir).

Les 7 étapes que nous avons détaillé sur l’échelle d’inférence se produisent très rapidement et de façon inconsciente dans notre esprit. Cela dit, ce mécanisme n’a pas que des mauvais côtés. Il faut savoir que chaque jour, nous prenons environ 35.000 décisions inconsciemment (source).

Imaginez si vous deviez peser le pour et le contre à chaque petite décision du quotidien… notre journée serait déjà terminée avant même d’avoir posé le pied dehors ! Sauter aux conclusions n’est donc pas toujours négatif. Malgré tout, pour des décisions plus importantes ou pour apaiser des conflits, il est utile de descendre de l’échelle pour rester en contact avec la réalité.

Cela passe là aussi par plusieurs étapes :

  1. Prenez du recul. Dès que vous sentez que la situation provoque des émotions fortes (anxiété, peur, colère, tristesse…), prenez une grande inspiration et regardez ailleurs quelques instants. Un peu de cohérence cardiaque vous aidera également.
  2. A présent que vous êtes plus calme, commencez à parcourir l’échelle d’inférence barreau par barreau, en vous posant les questions appropriées (celles que nous avons vu à chaque étape).
  3. Pour confirmer vos choix à chaque étape, imaginez quels auraient été les choix d’une personne que vous connaissez bien. Sa conclusion aurait-elle été différente de la vôtre ? Si oui, pourquoi ?
  4. Faites plusieurs tours d’échelle. Redescendez à l’étape de sélection et observez un autre aspect de la situation, changez de point de vue et demandez-vous si votre conclusion précédente reste encore valide. Si non, comment pouvez-vous l’adapter à la lumière de ces nouveaux éléments ?
  5. Êtes-vous capable d’expliquer votre raisonnement à un(e) ami(e) ?

Nous ne sommes pas infaillibles, nous avons des angles morts (voir cette vidéo pour s’en convaincre). C’est pourquoi lorsqu’une décision est à prendre collectivement, il est important de considérer le point de vue de chacun sur la question. Cela permettra d’avoir la vision la plus complète possible sur les actions à réaliser.

Bien sûr, toutes ces étapes prennent du temps et exigent une grande rigueur. Comme nous l’avions vu dans un article précédent, toutes les décisions ne se valent pas. Il ne sert à rien de passer une heure à choisir la plus belle pomme du supermarché, à l’inverse décider en dix minutes de sa carrière ou sa moitié serait assez insensé.

Le mot de la fin

L’échelle d’inférence nous fait prendre conscience que nous supposons beaucoup sur nous-même et les autres. En dépit de nos meilleures intentions, au mieux nous ne détenons qu’un fragment de la vérité, au pire nos conclusions hâtives nous mènent droit dans un mur.

Il donc s’agit de bien vérifier que les fondations de vos pensées soient solides, avant d’aller bâtir tout un édifice de raisonnement dessus.

Cela demande un effort conscient de descendre de son échelle, mais au-delà de prendre de meilleures décisions, cela vous aidera à en apprendre plus sur vous-même. A mesure que vous utilisez cet outil, vous serez capable de remettre en question vos croyances limitantes et découvrir d’autres comportements, d’autres façons de faire les choses.

Au final, cette prise de conscience sur notre processus de décision est aussi une porte ouverte pour réévaluer nos décisions passées, c’est tirer des leçons du passé pour construire un meilleur avenir pour nous-même et les autres.

Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager avec votre entourage :) !

Pour aller plus loin : La cinquième discipline par Peter Senge.

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